mercredi 22 décembre 2010

BIJOUX DE SOIE



Avec les deux dernières expositions présentées "Bijoux textiles, au fil de la parure" jusqu'au 13 février 2011 et "Quand Lyon dominait le monde, les soyeux lyonnais aux expositions universelles" jusqu'au 20 mars 2011, en marge de la réouverture de toutes les salles du Musée des Tissus et des Arts Décoratifs, l'industrieuse directrice, Marie-Anne Privat-Savigny, termine sa collaboration avec un musée qui est un de mes préférés et le second en France dans le genre après le Louvre.

Elle aura épuisé ses équipes en organisant au moins 4 expos par an et édité une trentaine de catalogues, respecté le goût de son public traditionnel amateur de belles étoffes anciennes et accompli la mission qu'elle s'était fixée, c'est à dire de favoriser les créations textiles contemporaines, notamment dans le cadre des Biennales.

C'est dans cet esprit qu'elle a suivi la proposition de deux créateurs Sophie Caillol et le joaillier Francis Dravigny d'exposer les oeuvres de 27 artistes venues de 9 pays différents qui créent des bijoux textiles assez étonnants.

Au fil de l'expo, on s'émerveille (le mot est faible) devant les colliers de soie injectés de silicone, les ailes de papillon brodées et le matériel textile mêlé aux métaux précieux. Les bijoux orfévrés en maille et en fil d'or tricoté de Laurence Oppermann, la ligature des coquillages, les orchidées électrolysées et les châles en fils de cuivre tricotés d'Ann Pamintuan, une artiste philippine initialement formée à l'art du bonsaï. Ou encore l'utilisation de fibres naturelles et synthétiques comme la soie, le raphia, le nylon, l'abaca et l'ananas d'Olivia d'Aboville.

Muriel Crochet native d'Angers, une ville qui s'illustre par sa grande vitalité culturelle, fait partie, comme 5 autres des artistes exposées, du collectif des Exploratrices (16 femmes qui travaillent le textile à leur manière) Cette ancienne lissière, est une entomologiste des étoffes et crée des insectes aériens. Emmanuelle Dupont, dont on peut admirer le triptyque des trois gorgones et la parure méduse en sculpture légère est aussi membre du collectif.

On a pu découvrir Lili Alcatraz et Léa Berlier au Carrousel du Louvre début décembre à Paris. Elles seront pour la seconde fois au Musée des Tissus de Lyon avec leurs colliers de feutres à pression. Karuna Ballo mauricienne et fille de couturière se dit horticultrice textile. Sa spécialité? Les fleurs de soie plissée, cousue et teinte à la main, incrustées de pistils anciens et utilisées comme bijoux de cheveux, pendentifs et broches.

Annie Chen Bridge Jewellery à Singapour et à Cebu. transforme des tissus en pierre qui restent gracieux et aériens. Maïté, s'inspire des fonds marins et fabrique des tissus de métaux pour le compte de Lacroix, Balenciaga, Chanel... Et quant à Marie Hélène Guelton qui a créé une somptueuse fraise à base de fibre d'ananas et d'abaca, elle est déjà présente dans les grandes collections de l'Art Institute de Chicago.

L'exposition s'articule entre trois lieux fort proches les uns des autres et tous situés dans la rue de la Charité à Lyon. En plus du musée, on peut découvrir, et acquérir certaines de ces créations ou dans un style voisin chez Artefact et Hall Prince et même participer à des ateliers pour apprendre à confectionner soi-même des pièces originales.

L'exposition des Lyonnais dans les expositions universelles comblera les visiteurs qui sont ou viennent à Lyon pour y découvrir des soieries précieuses. Il fut un temps, notamment au XIXème siècle où les expositions étaient européennes et offraient à la soierie lyonnaise l'occasion d'exposer son savoir-faire. C'est pour le musée, jusqu'au 20 mars 2011, celle de montrer des chefs d'oeuvre, pièces d'ameublement, tissus de costumes et ornements liturgiques et de démontrer la place de l'art dans la production en série. L'art et le bon goût comme arme de développement industriel, il y a pire et Lyon, avant la moitié du 19ème, est unique en Europe par le développement de ses manufactures.

En 1827 Jean Etienne Maisiat invente une technique de tissage des lettres sans machinerie complexe. La mode s'emballe alors et on ne jure plus que par le livre tissé. Le musée possède à cet égard un exemplaire du testament de Louis XVI et une lettre de Marie-Antoinette à Madame Elisabeth. Avec les portraits tissés créés par Didier Petit en 1839 et imitant la gravure à la perfection, les grands de ce monde se font tisser le portrait. L'expo propose des tissages historiques comme les portraits de Marie Antoinette et de Louis XVI et celui de l'illustre inventeur du métier Jacquard.

Pendant toute la période des grandes expositions universelles européennes et occidentales (Londres 1851 et 1862, Paris 1855 - 1867-1878 1889 et 1900, Vienne 1873, Philadelphie 1876, Chicago 1893...), c'est l'occasion pour Lyon de démontrer son savoir-faire en matière d'étoffes parfaites comme la couverture de siège réalisée par Grand Frères pour la chambre de Marie Amélie, épouse de Louis-Philippe.

Reste que les manufactures rivalisent avec pugnacité et ne ménagent pas leurs rancoeurs. Lyon se dira même sacrifiée sur l'autel de la jalousie britannique! Ils arrivent que les Lyonnais ratent le coche d'une mode ou d'une technique et se fassent doubler par les Anglais, les Allemands, les Suisses, les Japonais, avant de reconquérir le dessus du pavé comme en 1894 avec l'exposition du Parc de la Tête d'Or et celle de Paris en 1889 qui voit le retour des façonnés, dont seuls les soyeux lyonnais ont le secret. Plus de 66000 cartons sont ainsi conservés au musée. Les tissus sont interprétés en robes, jupes, manteaux, gants, écharpes. On trouve certains modèles qui en sont inspirés à la boutique du musée.

La réouverture des salles et la refonte du parcours des visites rendu nécessaire pour que le Musée se maintienne au rang des grands musées textiles internationaux comme peuvent y prétendre ses collections, est achevée depuis les veilles de Noël. L'éclairage notamment a été modifié pour que les tissus, qui sont terriblement sensibles à la lumière, puissent être mieux éclairés et sans dommage. C'est aussi l'occasion d'exposer certains inédits et notamment des albums d'échantillons (il y en a encore 6000 en archives). On peut admirer des étoffes du Moyen-Age comme le pourpoint de Charles de Blois, une pièce unique qui date de la guerre de 100 ans, le dais de Diane de Poitiers, maîtresse d'Henri II, des robes de cour du XVIIIème siècle, à paniers, des crinolines, des faux-cul et des costumes des Années Folles et Art Déco créés par Poiret et Balenciaga avec des étoffes de Bianchini Férier et les hautes nouveautés de Christian Lacroix, Ted Lapidus et Paco Rabanne réalisées dans les soieries lyonnaises de Bucol et d'Abraham qui combleront les nombreux amateurs de costumes.

Mission accomplie pour Marie-Anne Privat Savigny qui laisse à son (ou sa) successeur la lourde tâche de faire au moins aussi bien. Mais cette femme raffinée, curieuse et cultivée n'est pas perdue pour Lyon, elle dirigera le Musée Gadagne à partir de début janvier.

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