mardi 22 mai 2012

SCÈNES DE VIE EN TUNISIE


Le 18 avril 2012, les étudiants tunisiens célèbrent
la Journée Mondiale du Livre en lisant sur l'Avenue Bourguiba.
Les circonstances ont bien fait les choses. Pour aborder Tunis et la Tunisie à nouveau après le fameux Printemps Arabe appelé aussi la Révolution du Jasmin sans à priori et surtout sans illusion, rien ne valait de passer par la case culture. Rendez-vous donc en cette mi-avril au Festival Jazz à Carthage revenu sur le devant de la scène après une année d'interruption obligée.

Les concerts ont lieu juste à côté de l'hôtel Carthage Thalassa qui dispose d'une salle de spectacles pour les événements du genre. Il s'agit d'un palace situé entre Tunis et Carthage, la banlieue chic de la capitale tunisienne, là où résidait la famille du président Ben Ali et surtout son illustre belle famille, la fameuse tribu Trabelsi. Inutile de dire que ça ne peut être que "chic". On y circule à l'aise et il n'est plus du tout interdit d'observer, ni même d'admirer. Un voyageur rencontré avant le départ à l'aéroport de Lyon Saint Exupéry venait de nous raconter qu'avant la révolution, on ne photographiait pas, on ne s'arrêtait pas. Circulez, il y avait tout à voir et c'était marqué défendu!

Le Carthage Thalasso Resort est classé 5 étoiles, mais comme beaucoup de ses semblables et en attendant la relève, il a pris un petit coup de vieux.  Certains agents de voyage supportent mal que soient mélangés les genres. Des touristes qui seraient venus y passer un week-end il y a une poignée d'années peuvent être surpris. Les chambres restent soignées, le service vigilant, le grand hall accueillant et le Spa avec sa piscine d'eau de mer intérieure et extérieure engageant et réparateur. Mais on y croise désormais des personnes qui sont peu habituées à fréquenter ce genre de lieux. Soutenus par des béquilles, amputés pour beaucoup, ce sont les blessés de la guerre de Lybie qui se retrouvent là en convalescence. Et le kiné qui dirige le centre de soins tient essentiellement à participer à l'effort de solidarité envers ces frères arabes martyrisés par les hostilités.

Alors le soir, tous ensemble (des hommes surtout) se retrouvent autour d'une "chicha" en bavardant. Les Tunisiens qui viennent pour la soirée passent à table. Des couples d'amis avec les femmes cheveux au vent qui dégustent une bonne bouteille pendant que d'autres, en famille, sont à l'eau minérale. Papa barbu, maman voilée et petits enfants libres de leurs mouvements pour une poignée d'années encore, c'est à dire jusqu'à l'adolescence qui commence tôt. La burqa n'est pas rare, mais pas systématique et de jeunes tunisiennes qui attendent le début des concerts de jazz nous racontent que de nombreux enfants de ces familles dont la mère est intégralement voilée ont de gros problèmes de comportement et que les psys ont du travail avec eux. La vision de l'enfermement et de la dissimulation du visage de leur mère en public les perturbe énormément. "Un vrai problème de santé publique " nous affirme Siham.

Extrait du concert BendirMan Les musiciens de jazz que l'on reconnaît à leur imposant gabarit font la conversation en anglais aux Lybiens et aux spectateurs. Il y a là Michael Burks et ses musiciens texans si proches de tout le monde et prêts à faire un "bœuf". Les soirs de concerts, c'est la révolution. Au sens propre. Pour rien au monde, je n'aurais voulu manquer le concert de Bendir Man. Son nom signifie plus ou moins "le lèche-bottes ", mais il est tout sauf ça, ce musicien qui a connu la gloire via Internet et les geôles de Ben Ali.

Pendant qu'il mélange le français et l'arabe pour présenter ses morceaux, qu'il règle son compte aux Trabelsi, mais aussi aux dirigeants actuels, mes voisines tunisiennes me traduisent ce qu'il raconte "Il dit qu'il va demander la fille d'un ministre en mariage, ça lui permettra de toucher des prébendes! " Tout le monde en prend pour son grade! "Il va se faire tuer! " dit une autre en savourant tout de même ses propos révolutionnaires.

Les organisateurs du festival savent bien qu'il faut en passer par là pour avancer, mais ils n'aiment pas la tournure que prennent les choses. Que les nouveaux élus chargés d'établir la nouvelle constitution considèrent qu'il faut laisser les "barbus" manifester et qu'ils répriment les autres n'est pas encourageant et ressemble à du vol de révolution.

Les larmes jaillissent des yeux de Meriem.  "J'ai failli partir parce que je n'en peux plus. Mais je ne vais pas leur laisser la Tunisie quand même. Je dois tout à Bourguiba qui m'a donné l'éducation, alors je ne les laisserais pas s'approprier mon pays et faire reculer les droits des femmes!" Grâce soit rendue donc au Festival de Jazz à Carthage qui nous montre la réalité telle qu'elle est et longue vie à cette manifestation de la liberté.

La Tunisie est-elle redevenue fréquentable?

Carthage et Sidi Bou SaïdA Tunis, on n'est ni à Tozeur, ni à Djerba ni non plus dans les contrées les plus touristiques du pays où le chômage et la pauvreté restent le lot de la plupart. Mais au niveau de la sécurité, il n'y a pas davantage de problèmes qu'ailleurs. Et tant mieux pour eux, des groupements d'agences comme Selectour annoncent que les réservations ont augmenté de 140% pour cet été. Les rues de Sidi Bou Saïd sont paisibles. Les commerçants aimables, le café des Nattes toujours aussi folklorique et bien fréquenté. On fait un stop devant la boutique de Bambalouni qui prépare les meilleurs beignets du coin et on s'installe dans les restaurants qui ont vue sur la mer ou sur le port. Au Bon Vieux Temps et au Pirate. Ici, rien n'a changé ou presque. Surtout pas l'hôtel Dar Saïd avec ses chambres et ses patios bourrés de charme et que fréquentent toujours autant les habitués. Même s'il y a un moment qu'elle n'y a pas séjourné, Claudia Cardinale y a construit des habitudes. On vous montre volontiers sa chambre préférée. Qui est à louer si elle est disponible.

Evidemment, l'avenue Bourguiba écartelée entre l'époque du protectorat français, la Tunisie de Bourguiba, celle de Ben Ali et celle d'aujourd'hui vaut le détour. Le beau temps favorise le développement des terrasses, on bavarde beaucoup et, semble-t-il sans contrainte. Sinon que le pouvoir tunisien semble être un gros consommateur de barbelés. Gare à l'accrochage.

Avant de pénétrer dans la Médina, les gens vous préviennent. "Attention à votre portefeuille, vos bijoux, vos papiers ".  Etant donné qu'il s'agit d'un souk comme beaucoup d'autres avec exactement le même genre d'objets orientaux, maroquineries (contrefaçons et autres) , bijoux, tapis, vaisselle que partout dans les pays arabes, on pourrait tout aussi bien décider de ne pas s'y risquer. Mais ce serait dommage de manquer le restaurant Mahdaoui recommandé par le Routard. Le patron n'a pas envie que l'on photographie sa salle à manger vide (ce n'est pas encore l'heure du repas). Il veut que l'on montre qu'il attire toujours beaucoup de monde.

Dommage aussi de manquer la belle et paisible mosquée Ezzitouna que l'on découvre encore mieux depuis la terrasse jardin de la boutique Ed-Dar, tout en étages tortueux et qui vaut le détour. Là aussi on est entre deux cultures, mais ça ne semble poser aucun problème. Youssef et Ali vivent sous les portraits et la bienveillance de De Gaulle et Bourguiba et surtout sous celle d'une clientèle fidèle et passionnée.

On passerait des heures à écouter l'histoire des meubles, des tapis, des tableaux orientalistes, des livres et des bijoux berbères de cette vraie caverne d'Ali Baba dans le sens exact et noble du terme. On admire le bakhnoug, le châle de mariage que les jeunes filles mettaient parfois jusqu'à deux ans à tisser. Elles s'usaient les yeux sur les broderies blanches, car il ne recevait des couleurs qu'au moment des noces. Epoque pas si lointaine dans nos campagnes où l'on pratique encore ainsi et qui nous rappelle que nos grands mères brodaient leur trousseau à leur chiffre au point de bourdon. Ourlaient draps et linge de table de jours échelles en attendant leur promis. Et que l'on court nous-mêmes les antiquaires à la recherche de ce précieux linge de maison.

Les édiles des ministères locaux ont leur adresse de luxe, le restaurant Dar El Jeld Le Diwan, bien à l'abri d'une solide porte close pour y rester entre soi. C'est la dernière étape d'un périple qu'il serait dommage de manquer si on s'intéresse à Tunis pour tenter d'y entrevoir son futur. Reste que mieux vaut s'y rendre les mains dans les poches, sans bijoux apparents et les papiers bien dissimulés sur soi. Un peu comme dans certaines villes d'Italie.

Avant de partir à la rencontre de Carthage, la Rome Africaine et de ses sites archéologiques où je vous conduirai un peu plus tard, une halte au musée du Bardo s'impose. Pour y découvrir un foisonnement de mosaïques proprement époustouflant. Ce qui permet d'aborder la majesté de toutes celles que l'on découvrira ensuite conservées sur leurs lieux de construction et qui s'y trouvent toujours.

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