lundi 22 février 2010

RAQUETTES ET RETABLES



Il faut s'y faire et c'est tant mieux. Aux sports d'hiver, seuls 50% des vacanciers s'adonnent aux joies de la glisse. Certains ne font que dévaler les pistes, s'éclater sur les snowparks et boarders cross et s'arrêtent tout juste pour engloutir un sandwich à l'heure du déjeuner, et encore ! Les autres répartissent leurs vacances entre les joies du ski et toutes les autres ressources de la station. Mais il en est même qui ne mettent pas du tout les pieds dans la neige sinon en intercalant une grosse semelle de bottes fourrées et de chaussettes chaudes entre le tapis blanc et eux.

Attention, ils sont de plus en plus nombreux et c'est même une tendance lourde. Le moyen d'échapper à des tarifs de remontées mécaniques très élevés, même là où ils sont très étudiés, d'accompagner familles et amis très sportifs sans se mettre à l'écart et surtout d'en profiter pour respirer et goûter aux bienfaits de la montagne et de l'altitude.

Disons que je fais partie de la catégorie du milieu. Je ne résiste pas aux joies de la glisse, même si je préfère descendre une belle et longue bleue au soleil que m'aventurer sur les noires glacées et la poudre du hors-piste. Voilà qui me permet, comme je l'ai fait à Valloire à l'occasion du week-end du Concours International de Sculptures sur Glace fin janvier, de profiter de tout et de ne jamais laisser ma part au chat.

Le domaine skiable du Galibier Thabor permet de satisfaire tous les niveaux et de découvrir toute la chaîne des Alpes quand on monte jusqu'en haut. De mesurer aussi que l'on est au pied du fameux col qui fait vibrer les amateurs de vélo. A l'occasion du Tour de France, en appuyant sur les pédales ou en attendant la caravane le long de la route. Valloire n'a jamais besoin de poser sa candidature pour être visitée par la Grande Boucle. Le col du Galibier (2642m) est incontournable.

C'est à skis seulement que l'on peut se rendre dans un excellent restaurant de pistes (celle des Selles en l'occurrence) pour goûter la cuisine du Mérenger. Ainsi placés et quand il y a affluence, Denis et Annie Châtel, les propriétaires, pourraient même se permettre de faire mille fois moins bien et travailler quand même. Mais les pizzas sont excellentes et le plat du jour, en l'occurrence un bon boeuf bourguignon, tendre et fondant avec une excellente sauce ce jour-là, très généreux. Les tartes aux myrtilles et autres fruits de la montagne, fraîches et du jour.

Partout le long des murs, trônent de joyeux occupants. Une bonne centaine d'ours en peluche, tous plus mignons les uns que les autres. Le Mérenger est ouvert l'été pour les randonneurs et c'est à l'inter saison qu'Annie passe toute sa petite famille à la lessive. Dommage qu'au printemps et à l'automne la télécabine du Crêt de la Brive soit fermée, car tous les petits (et grands) personnages accrochés à la corde à linge par les oreilles en train de sécher doucement, doivent valoir le coup d'oeil !

Une fois dans le village, je ne résiste pas à suivre une très compétente guide du patrimoine pour découvrir l'église de Notre Dame de l'Assomption. Elle ne paie absolument pas de mine, comme toutes les églises baroques en général et celles de Savoie en particulier. Elles sont environ 80 en Savoie et Haute-Savoie et celle-là vaut surtout pour son monumental retable ("retro tabula", la table de derrière) de 10m sur 11.

L'église a été construite entre 1630 et 1682 et le retable majeur date de 1673. Mais il y en a 7 en tout. Le baroque est né en Italie. C'est à dire ici. Quand le Piémont, la Savoie, la Sardaigne et le Comté de Nice ne faisaient qu'un. C'est beaucoup plus tard que l'Italie s'est mise à exister. On fêtera d'ailleurs toute cette année les 150 ans du rattachement de la Savoie à la France.

Pas de Dieu vengeur, ni de chimères. Le grand retable rouge, vert et doré à l'or fin qui entoure le tabernacle, la voûte en gypserie et ses 248 anges joufflus donnent plutôt une fort belle image du paradis. Que l'on était sûr d'atteindre si l'on savait faire ce qu'il faut, c'est à dire acheter des indulgences. Comme les habitants des communes de montagne étaient assez aisés grâce aux vastes pâturages qui entouraient le village, ils n'hésitaient pas à mettre la main à la poche pour assurer leur avenir dans un au-delà nécessairement joyeux. Le baroque est au fond un art catholique en complète opposition avec l'austère réforme. Au-dessus du grand retable, on annonce la couleur avec la formule "Autel Privilégié". Ici, le mot compte triple.

On pourrait passer des heures à admirer les milliers de détails, l'esthétique mouvementée, les feuillages, les colonnes torses.
A gauche du grand retable en pin cembro imputrescible (il n'a que peu été restauré en 300 ans) trône St Pierre et Ste Thècle à droite. Il s'agit d'une jeune fille noble de Valloire partie au VIème siècle à la recherche des reliques de Saint Jean Baptiste et surtout de ses trois doigts qui procédaient à la bénédiction. On en aurait retrouvé environ 178. Sans doute tous authentiques ! Et comme la vallée a de la suite dans les idées, on en retrouve l'effigie sur la lame des Opinel.

Les montagnards, confrontés à la rudesse des éléments, ne plaisantaient pas avec la foi. Il existe 17 chapelles dans les 17 hameaux rattachés au village. Bonnenuit est l'un d'entre eux. C'est là, le long de la rivière sous une neige abondante que nous avons suivi Thierry, accompagnateur en montagne qui raconte les traces d'animaux, les aigles royaux, les écureuils espiègles, les marmottes endormies, les chamois et bouquetins que l'on attrape à la jumelle et le cincle plongeur.

Il s'agit d'un drôle d'oiseau qui pêche en marchant au fond du torrent à contre courant. Un des soucis des accompagnateurs en montagne, c'est de faire comprendre aux randonneurs l'été que non, l'oiseau qu'ils ont trouvé "en train de se noyer", n'était pas en danger. C'est un jeune cincle à qui ses parents apprenaient à plonger. Il ne faut pas absolument faire traverser la rue à une vieille dame qui ne voulait pas aller de l'autre côté. Trop de sollicitude nuit parfois...

Retour dans Valloire, il ne faut pas oublier de faire emplette de Beaufort et de s'installer au Bistrot de Fred. On y sert une cuisine savoyarde de fort bon aloi avec un zeste de raffinement, beaucoup de fraîcheur et de générosité. Une table qui vaut le détour comme dit l'autre.

Et comme les vacances, moins c'est fini, mieux c'est, on se prépare pour l'été. La Fête du Fort du Télégraphe qui montait la garde entre Lyon et Milan du temps où les colporteurs étaient bien plus nombreux que les ramoneurs en Savoie, se tiendra au mois de juillet et, du 27 juin au 2 juillet, ce sera la fête du vélo. L'occasion d'attaquer les cols...

A lire :
La Savoie des Retables. Trésors des églises baroques des hautes vallées. Ed. Glénat.

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