Le débat est vieux comme Hérode et n'est pas près d'être tranché. Lyon est-elle, oui ou non, la capitale de la gastronomie? Pour l'affirmer, et en dehors de leurs propres convictions, preuves à l'appui, les Lyonnais se fondent sur Curnonsky, "prince des gastronomes" qui écrit en 1935 dans son ouvrage "Lyon, capitale mondiale de la gastronomie" aux éditions Lugdunum, que : " (...) la cuisine lyonnaise participe à l'Art français, justement en ce qu'elle en fait jamais effet. (...) Elle ne pose pas, elle ne sacrifie pas à la facile éloquence... "
C'est, en toute modestie, bien mon avis. Je l'ai écrit plusieurs fois ici. Si Lyon est, et reste, la capitale de la gastronomie. C'est que l'on y mange bien à peu près partout. Les Lyonnais, élevés dans cet esprit-là, ne permettraient pas qu'il en soit autrement. Même les plus récents d'entre eux se coulent avec délectation dans le moule. Curnonsky n'est pas le seul à l'affirmer. Il y a eu aussi Stendhal et celui qui fut longtemps le maire de la ville, Edouard Herriot, qui savait se tenir à table. Et encore, excusez du peu, Erasme, Rabelais et Clément Marot...
En face, mais qui reconnaît tout de même aisément les mérites de la capitale des Gaules, il y a les fameuses étoiles Michelin. Au moins aussi nombreuses et parfois plus à Paris, en Alsace et sur la Côte d'Azur. A ceci près que, si l'on se fie aux jugements du guide rouge, la capitale mondiale de la gastronomie serait... Tokyo. Comptablement s'entend, au niveau des étoiles obtenues par les restaurants. Sinon que la très grande majorité d'entre eux a pour spécialité la cuisine française avec parmi leurs chefs, pas mal de Lyonnais. La boucle est bouclée!
Pour sa première exposition temporaire depuis la fin d'une rénovation de très grande ampleur il y a 2 ans, le Musée Gadagne, musée d'histoire de Lyon, situé au coeur du quartier Renaissance, a choisi de s'attaquer au sujet. Avec l'exposition "Gourmandises! Histoire de la Gastronomie à Lyon" qui dure jusqu'au 29 avril 2012.
Un thème proprement insondable, dans lequel il est facile de se noyer tant il est riche. Il constitue la première illustration vivante de l'inscription du repas français au patrimoine de l'Humanité par l'Unesco. Distinction que Bocuse, entouré de ses pairs, a voulue de toutes ses forces.
Certains connaisseurs qui ont vécu une des apogées de la gastronomie lyonnaise dans les années 80 pourraient presque se sentir frustrés en considérant les objets du passé et aussi les menus, les photos des grands moments comme la réception des chefs d'état par les chefs de cuisine quand le G7 s'était tenu à Lyon, et qui ont fait partie de notre quotidien du moment. Mais on y découvre bien d'autres aspects de "la ville qui donne faim". Bien nichée au coeur d'une région où abondent les produits d'exception, elle n'est pas seulement la reine de la cuisine, mais aussi de tout ce qui se mange ou se boit, pourvu que ce soit bon!
Du chocolat avec l'émergence de Bernachon certes, mais aussi de Casati, de Voisin mais surtout, dès le 17ème siècle, quand la fève succulente a fait son apparition dans l'hexagone. De la bière aussi grâce à la qualité des eaux du Rhône. Et des pâtes alimentaires comme Panzani, Rivoire et Carret et Milliat Frères.
C'est avec ces derniers que l'on débouche sur ce qui constitue un des socle de la cuisine lyonnaise avec la saga des Mères. Il y avait la Mère Fillioux, la Mère Guy, la Léa, la Mélie et l'illustre Mère Brazier qui a formé Bocuse et Fernand Point. C'est elle qui a conquis 2 fois 3 étoiles au Michelin et la première, bien avant Veyrat et Ducasse. Sinon que ces mères-là se sont retrouvées cuisinières un peu par hasard. Employées pour faire les repas dans les maisons bourgeoises, c'est quand leurs patrons ont connu des revers de fortune qu'elles se sont installées à leur compte.
Avant d'officier rue Royale et au col de la Luère, Eugénie Brazier a été employée chez les Milliat Frères justement comme bonne à tout faire, puis comme cuisinière parce qu'elle avait dépanné la maîtresse de maison qui donnait un dîner. Jacotte Brazier, qui a vécu au plus près de sa grand-mère et dont elle dit qu'elle n'a jamais voulu lui apprendre à faire la cuisine, raconte son histoire de manière très savoureuse et sans chercher à enjoliver les choses. Elle n'a pas peur de dire, avec son franc-parler, que, si elle est venue à Lyon depuis sa Bresse natale, c'est qu'elle était une fille perdue au sens où on l'entendait au début du XXème siècle. Elle s'était retrouvée "fille-mère", enceinte de Gaston, le père de Jacotte et de sa soeur Anne Marie et chassée par sa propre mère.
Ce qui lui a permis d'échapper à son destin de fille de ferme et de troquer le balai et le nettoyage des cochons pour se consacrer aux quenelles, volailles en vessie et arômes truffés en cuisine. Ce que sa petite fille, qui préside aujourd'hui la fondation des "Amis d'Eugène Brazier" après avoir revendu son restaurant à Matthieu Viannay, n'a jamais hésité à lui faire remarquer quand elle évoquait cette partie noire de sa vie qui lui avait finalement permis de connaître la gloire.
L'exquise Jacotte, la raconteuse dont on peut profiter des lumières avec ses déjeuners-bavardages (ça lui va comme un gant!) grâce à toutes les manifestations autour de l'exposition qui sont d'une richesse inouïe, parvient encore à s'étonner en découvrant par exemple des vidéos prêtées par l'INA et dans lesquelles, on voit sa grand-mère aux fourneaux - Elle précise : "on l'appelait mère alors qu'elle avait tout juste 18 ans! " - ou encore en train de recevoir des VIP de l'époque. Car la cuisine lyonnaise a aussi ceci de capital qu'elle a toujours servi à rapprocher les points de vue. Dans les salons particuliers comme il en existait chez la Mère Brazier. Parce que l'on pouvait avoir du mal à recevoir chez soi, mais que ce n'était pas une raison pour ne pas faire des affaires avec des gens mieux établis en matière de train de maison. Il faut visiter l'exposition, mais aussi s'ouvrir à tout ce qui se passe autour, pour découvrir la déferlante suscitée par le sujet dans la ville.
L'avenir au travers de la "bistronomie", inventée à Lyon avec les "Bistrots de Cuisiniers" de Jean Paul Lacombe et des "Brasseries Bocuse" dont les cuisines sont toutes dirigées par des Meilleurs Ouvriers de France qui choisissent les meilleurs produits pour les déposer sur les tables à des tarifs les plus étudiés possibles.
Le vivier de chefs et de pâtissiers que constitue le Bocuse d'Or et la Coupe du Monde de la Pâtisserie, qui se tiennent tous les 2 ans au cours du Sirha, le fameux Salon des Métiers de Bouche.
Réviser enfin la "Plaisante Sagesse Lyonnaise" et ses savoureux aphorismes comme "il vaut mieux prendre chaud en mangeant, que froid en travaillant!". Ou encore, soigneusement repris, par l'un des membres du Comité Scientifique de l'Exposition, l'historien Gérard Corneloup qui nous a rappelé qu'à Lyon (et pour régler un différent, qui ne citait de part et d'autre, la bonne parole qu'à moitié...), on disait aussi "qu'au travail, on fait ce qu'on peut, au lit on fait ce qu'on doit et à table on se force!" Dont acte!
dimanche 18 décembre 2011
LYON, LA GOURMANDE!!!
Publié par Martine Montémont à 16:43 1 commentaires
Libellés : Gastronomie
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