lundi 31 janvier 2011

QUAND L'ELEVE DEPASSE LE MAITRE



Avant d'être un salon qui sent bon et qui sert à révéler les meilleurs chefs et autres artisans des métiers de bouche avec une vingtaine de concours organisés pendant 5 jours, le Sirha de Lyon, qui vient de fermer ses portes le 26 janvier, est avant tout un laboratoire dans tous les sens du terme.
Il n'est pas ouvert au public, ce qui n'empêche pas tous les amateurs de bonne cuisine - ils sont nombreux et à Lyon encore davantage qu'ailleurs - de se débrouiller pour se faire inviter et parcourir ses allées.

Ils ont été environ 150.000 visiteurs à se bousculer (le mot est faible...) entre les stands et ils ont eu du mérite. Du moins fallait-il être très motivés car les queues pour accéder aux parkings déjà bondés étaient interminables. Quant à la ressource transports en commun, idéale lors de l'édition 2008 (le salon se tient tous les 2 ans), elle a montré ses limites cette année avec des navettes entre le tram et le métro archi bondées et une foule compacte et frigorifiée sur les quais.

Ferveur et fureur donc pour aller à la rencontre des quelques 2200 exposants, dont 500 étrangers, des 22 pavillons internationaux qui présentaient le meilleur de leurs produits que les uns et les autres dégustaient à l'envi. Pour assister à la Coupe du Monde de la Pâtisserie (gagnée par l'Espagne cette année) et au Bocuse d'Or. (remporté au final par le Danemark, suivi de la Suède et de la Norvège) et s'enflammer dans les tribunes avec sifflets, drapeaux et pautres vuvuzelas comme pour un match de foot.

Il est vrai que chaque candidat qui est passé par les arcanes des éliminatoires et s'est entraîné, coaché par les Meilleurs Ouvriers de France, plus de 10 heures par jour pendant 2 ans, était à son top. Ce qui ne signifie pas forcément que ces quasi champions olympiques comme les désigne Odile Mattéi qui a consacré une émission spéciale de Goûtez-Voir d'une heure le dimanche 30 janvier, sont nécessairement les meilleurs restaurateurs.

Evidemment ils font partie des bons et même des très bons, mais il en est parmi eux, qui n'ont pas forcément la grâce. Techniciens appliqués, leurs produits, leurs cuissons, leurs présentations sont irréprochables, mais peut-être manque-t-il parfois à ces forçats du fourneau un petit supplément d'âme.

Celui-là même qui visite certains amateurs qui s'offrent des cours de cuisine qui valent souvent le prix d'un repas au restaurant, s'équipent chez eux d'une cuisine professionnelle qui coûte jusqu'au prix d'un studio de 20 m2 et font les beaux jours des émissions de télé réalité autour de la cuisine avec leurs audiences records. Tous ces cuisiniers du dimanche sont parfois plus forts que certains chefs. En tout cas meilleurs que bien des cuisiniers de restaurants moyens ou de brasseries et ils arpentent les allées du salon pillant les idées des chefs qui, avec la générosité qui les caractérise, se laissent gentiment faire.

Le salon redistribue les cartes à chaque édition. Aux grands chefs, reconnus ou en devenir, la gloire, les récompenses et le loisir d'accueillir dans leurs maisons les happy-few qui peuvent mettre entre 100-150 euros et parfois même beaucoup plus dans un repas. Aux amateurs les idées, les aides culinaires glanées ça et là qui leur permettent de faire bon et même très bon en se débrouillant tout seuls aux fourneaux

Car les industriels se servent aussi des grands chefs étoilés comme laboratoire d'idées et ils proposent des produits étonnants et savoureux. Nul ne critiquera qui que ce soit de servir un jus de raisin blanc à base de Chardonnay comme le produit Alain Milliat, d'utiliser les risottos de Gallo qui se réchauffent en 2 minutes et devraient apparaître prochainement en supermarché et de regretter que les jus de veau rôti et le jus de langoustines rôties d'Ariaké restent dans le circuit professionnel.

Les découvertes se font aussi au niveau des Arts de la Table. On glane ça et là des idées d'outils pour la cuisine et autres articles géniaux que l'on retrouvera ensuite dans les boutiques consacrées. On est tombé amoureux en son temps des mini-cocottes pour passer joliment du four à la table en individuel et que l'on trouve parmi plus de 7000 ustensiles spécialisés dans le "Catalogue Cuisine" du Comparateur d'offres de French-Tourisme.com. Réservées aux restaurants dans un premier temps, l'engouement du public a fait le reste quand il les a découvertes sur les salons, à côté des couteaux japonais en céramique et des lingettes compressées en pastilles, rince-doigts ludiques et efficaces qui ont reçu le Grand Prix de l'Innovation au Sirha en 2007.

Mais là où ça se corse, et en marge des observations de tendance d'Alain Ducasse qui adore la prospective, c'est quand on voit sur le salon (celui-là et les autres du même genre) tout ce qui permet aux restaurants du quotidien d'assurer avec un minimum de personnel et de proposer des additions pour un repas complet à 20-25 euros.

C'était l'objet du magazine "Spécial Investigation" de Canal+ le 17 janvier. Dans "Restaurants: les pieds dans le plat" Olivier Journiat et Hervé Bouchaud ont fouillé les poubelles de certaines brasseries spécialisées dans ce que j'appellerais "la cuisine aux ciseaux". C'est à dire ceux qui utilisent des préparations toutes prêtes: appareils de tarte au citron ou de tarte au chocolat dans une poche qu'il suffit de découper pour l'étaler sur le fond de pâte, industriel lui aussi et, comble de tout, pas nécessairement mauvais et même souvent plutôt parfaitement consommable.

Colette Mainguy dans le numéro de Télé Obs qui correspondait à la semaine, évoquaient les oeufs sans coquille déjà cuits et les plats du jour qu'il suffit de réchauffer et dont l'appellation sur la carte du restaurant est pourtant parfaitement légale. Les sauces que l'on réchauffe au bain-marie ou au micro-ondes, les pâtisseries surgelées pour café gourmand, les cristaux d'huiles essentielles et même les saveurs pour renforcer les arômes de boulangerie et faire que le pain sente bon le levain (c'est comme le spray "odeur de voiture neuve" pour les occasions...), ils étaient venus, ils étaient tous là! Il suffisait d'ailleurs de mesurer d'un coup d'oeil l'immense espace de Metro, le grossiste spécialisé et réservé aux professionnels, pour imaginer que les restaurateurs qui vont s'y servir, ne font pas que se dépanner!

N'empêche, tous ces produits industriels ont nettement progressés. Il est un peu écoeurant en effet de payer 10 ou 12 euros pour un plat du jour acheté moins de 3 euros et juste réchauffé, mais au niveau du goût, on n'est pas forcément trahi. Quelque fois moins que si un mauvais cuisinier y avait mis la patte!

Et les industriels sont attentifs. Devant la vague bio et écolo, tout le monde veille à proposer des produits aussi sains que possible et sans conservateurs, ni colorants. C'est ainsi que les glacis de légumes "Exquis Glacis" de Cap Diana obtenus par concentration naturelle de jus de légumes, carotte, oignon, tomate confite sans additifs, sans OGM, sans exhausteurs de goût, sans sel ajouté et destinés à la confection de potages, sauces, purées ou vinaigrettes a reçu le Grand Prix de l'Innovation au Sirha 2011.

On peut donc dire qu'il s'instaure là un sorte de dialogue où chacun s'enrichit de l'expérience de l'autre. Avec les chefs illustres qui écrivent la partition, le public qui ne demande qu'à s'initier et à rejoindre l'orchestre et les industriels qui réfléchissent en fonction des contraintes que cette transparence leur impose.

Mis à part quelques inévitables dérapages qui restent à surveiller, on peut dire que l'exercice est profitable et que, au moment où le repas français (et pas la seule gastronomie...) avec toutes ses composantes, entrée, plat, dessert que l'on prend assis à table 3 fois par jour et pas n'importe où ni à n'importe quel moment, vient d'être inscrit au Patrimoine de l'Humanité, on a, au fond, jamais aussi bien mangé. Et surtout, on n'a jamais eu autant les moyens d'y arriver pourvu que l'on sache être au minimum vigilant et exigeant.

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