vendredi 22 juin 2012

CHEFS D'ŒUVRE EN SOUS-SOL


Il n'est pas rare que certaines œuvres attribuées à des artistes majeurs aient été déclassées et aient ainsi rejoint les réserves des musées pour y entrer dans un long hiver. Mais il arrive aussi que certaines d'entre elles soient réhabilitées. C'est le cas du "Gerfant" de Géricault qui est remonté triomphalement de la cave du Musée d'Art Roger-Quilliot à Clermont-Ferrand.

Du coup, la découverte s'est muée en exposition événement "Géricault, au cœur de la création romantique. Etudes pour Le Radeau de la Méduse" est présentée dans la chapelle des Ursulines au musée d'art Roger-Quilliot à Clermont Ferrand jusqu'au 2 septembre 2012.

Il ne s'agit pas de l'exposition la plus joyeuse de la saison culturelle et pourtant, elle est née de l'enthousiasme de 3 personnes, sans doute animées par le souci de rendre justice à Théodore Géricault, soi-disant peintre maudit, et aussi de créer un événement d'ampleur nationale dans la capitale de l'Auvergne.

Alors que les spécialistes du premier des romantiques - on s'écharpe beaucoup entre historiens de l'art pour le situer entre classicisme et romantisme, sinon qu'il est à la charnière des deux mouvements… - étaient relativement nombreux il y a quelques dizaines d'années, Bruno Chenique qui est aussi le commissaire de l'exposition avec Anne-Charlotte Cathelineau, conservatrice des collections, est à peu près le seul aujourd'hui.

C'est lui qui a demandé à voir, il y a 4 ans le portrait de "Gerfant" légué au musée par le duc de Morny et relégué dans les réserves depuis 1976 par un expert qui l'avait "déshérité".


Gerfant ou Gerfaut, un des modèles du radeau

Rendu à ses origines, l'idée s'est tout de suite imposée de l'exposer en point de départ au cheminement de Géricault pour parvenir à la réalisation de son immense Radeau de la Méduse, conservé au Louvre et qui est presque aussi mondialement connu que la Joconde.

De rétrospective de Géricault pourtant, il n'y en a eu que deux. La dernière au Grand Palais en 1991 et la précédente en 1924. Les publications autour de la Joconde se compte par milliers. Celles autour du Radeau de la Méduse se limitent à quelques dizaines et sont réservées à de grands érudits.

Il faut dire que l'œuvre est dérangeante à plus d'un titre. C'est un chef d'œuvre admiré et reconnu en tant que tel. Mais les naufragés égarés 13 jours en mer et soupçonnés par là de cannibalisme, n'ont évidemment pas la séduction de Mona Lisa

En plus, le sujet était politique. Parce que la frégate "La Méduse" avait surtout pour mission, bien davantage que de rallier le Sénégal, de débarrasser la royauté restaurée de quelques sujets encombrants et que Géricault, par-dessus le marché, en installant un Noir fort et courageux à l'extrémité du radeau, prenait position contre l'esclavage.

Le tableau, en revanche et aussi en raison de tout cela, est tout à fait fascinant. Parce qu'il est monumental et lumineux et que la musculature "michelangéslesque" des héros est réellement magnifique. En témoigne le pouvoir d'attraction sur le public de la reproduction grandeur nature (environ 5m sur 7) installée dans l'entrée du musée de Clermont-Ferrand, plus claire que l'œuvre elle-même dans son état actuel et sans doute plus proche aussi de ce qu'elle était en 1819. Elle a été réalisée à partir d'une photographie numérique à la très haute définition de 240 millions de pixels. 

Car il n'était pas question de déplacer l'original. Il n'y aurait pas résisté, sachant qu'il n'est même pas certain qu'il survive là où il est. Malgré plusieurs couches de vernis ou à cause de. Malgré les traitements de conservation, à condition que les remèdes ne soient pas pires que le mal.

Une connaissance précise de l'anatomie

L'occasion, en revanche, était de présenter le tableau réhabilité. Gerfant, ancien officier des armées impériales est un des personnages du radeau (à l'extrême gauche) , de même que certains élèves de Géricault et le tout jeune Eugène Delacroix qui figure au premier plan. Et l'opportunité de montrer le processus de création chez l'artiste et tout l'énorme travail préparatoire indispensable à une œuvre aussi monumentale.

On découvrira aussi l'univers de Géricault et ses obsessions. Des études de cadavres et de fragments anatomiques qu'il récupérait à l'hôpital Beaujon à côté de chez lui et que l'on faisait porter à ce drôle de client.

Il faut dire que Géricault, qui est mort à 33 ans, était atteint de tuberculose osseuse et que son masque mortuaire (présenté aussi) en dit long sur ses souffrances puisqu'il a l'aspect de celui d'un grand vieillard et peut aussi expliquer la fascination de ce qu'il appelait "ce je ne sais quoi qui n'a plus de noms dans aucune langue".

Doc vidéo Radeau de La Méduse
Et pourtant, le Radeau de la Méduse et ses études préparatoires, dont certaines n'auront pas servi à la représentation définitive, ce qui en fait aussi tout le prix, reste un immense chef d'œuvre. De nombreux musées français, mais aussi américains (New-York, Chicago…) et de grands collectionneurs anonymes ont prêtés la plupart des œuvres intermédiaires en complément de celles des collections maison.

On ne saurait que trop conseiller, en revanche, les visites commentées organisées par le musée qui permettent un regard plus documenté et plus riche pour vraiment l'appécier.

Cette exposition est incontournable en soi, mais aussi en ce qu'elle témoigne de l'aspect politique, dans le sens littéral du terme, de l'expertise en matière d'histoire de l'art et de l'intérêt, pour les spécialistes, de revisiter périodiquement les archives.

On y retrouve des trésors. Mais à l'inverse, on peut aussi être conduit à déclasser certaines œuvres que des techniques plus pointues font apparaître comme n'appartenant pas à des artistes auxquels elles avaient été attribuées à tort. L'ADN des œuvres en somme et le revers de la médaille.

Dessin, peinture et vitrail

Au chapitre des études préparatoires et du processus de création de l'artiste, on signalera aussi l'exposition "Auguste Morisot (1857-1951) - Du Crayon au Vitrail" au musée des Beaux Arts de Lyon jusqu'au 24 septembre. Plutôt méconnu, cet homme modeste à tous points de vue considérait le dessin comme le fondement de tous les arts et utilisait son entourage comme modèle et surtout lui-même pour perfectionner ses techniques.

Sa peinture vaut surtout en ce qu'elle a servi d'études préparatoires à des vitraux réalisés pour servir d'impostes dans son appartement de l'avenue Félix Faure et pour quelques clients privés. Le résultat est proche de l'Art Nouveau et il n'est pas exclu qu'il en existe encore, non répertoriés, dans certaines fermes du Jura où Morisot se rendait souvent. A la demande du couple Neyron de Champollon, de riches industriels qu'il avait comme clients, et aussi parce qu'il peignait là-bas les forêts comme des cathédrales.


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