vendredi 4 janvier 2013

LA TRUFFE DES GRANDS CHEFS


C'est entre la St Sevrin (27 novembre) et la Saint-Joseph (19 mars) que la saison de la truffe noire, la fameuse tuber melanosporum, bat son plein. Ce qui revient à dire qu'au moment du Ban des Truffes à Richerenches (cette année le 17 novembre), le précieux diamant noir est encore loin d'être à son apogée. Mais c'est à cette date que commencent les réjouissances qui vont émailler la saison de la truffe et constituent autant de rendez-vous pour les amateurs. Avec l'un des plus incontournables, la Messe aux Truffes le 20 janvier prochain.

Les grands chefs ne jurent que par elle. Et ce sont celles du Tricastin qui ont leur préférence. Je me souviens encore, l'an passé, à la mi-février, de l'énorme panier de truffes noires que le maître d'hôtel du Grand Véfour, l'illustre maison parisienne de Guy Martin, présentait aux clients qui en profitaient pour prendre une longue et inoubliable inspiration.

Cette année, au Ban des Truffes à Richerenches à la mi-novembre, personne n'était encore en mesure de parier sur la qualité de la saison. "Il faudrait un bon coup de mistral et un bon coup de froid et ce serait parti" disaient tous les professionnels rassemblés derrière la bannière de la Confrérie de la Gastronomie et du Diamant Noir pour célébrer l'ouverture du premier marché de la saison, derrière le "petit Saint Jean", un enfant blond du pays qui doit obligatoirement être né à Valréas dans l'Enclave du Vaucluse.

Ces temps derniers, faute de maternité dans la petite ville, il fallait que ses parents y vivent depuis un minimum de temps. Avec la réouverture du service, les "petits Saint Jean" vont se renouveler au fil des années.

Le meilleur de la truffe noire, celle des connaisseurs
Le marché de Richerenches (tous les samedis matins entre novembre et mars), s'il est le plus important d'Europe, n'est pas pour autant le plus spectaculaire, ni surtout le plus folklorique.

Mais c'est là que se négocie la plus haute qualité. En témoignent les grossistes du Périgord qui viennent s'y approvisionner.

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Dans le village templier, les étals sont installés le long de la rue principale et si quelques trufficulteurs viennent vendre une partie de leur récolte aux particuliers, on trouve aussi beaucoup de nougats et autres friandises provençales, des charcuteries, de la vaisselle, des mandolines à truffes pour les émincer au plus juste, des couteaux pour les canifer délicatement et voir ainsi si elles sont mûres à point, c'est à dire bien noires et veinées de blanc et pas toutes grises comme en début de saison. Mais il faut bien démarrer à un moment donné.

L'autre intérêt de ce marché incontournable, c'est le "Cours du Mistral", la rue perpendiculaire qui remonte jusqu'à l'Escapade, le restaurant de Nicolas Pailhès et de son assistant Paul Chabert, tous deux orfèvres en la matière (Paul est le fils d'André Chabert qui a longtemps dirigé le Château de Rochegude dans la Drôme).

C'est là que les trufficulteurs vendent leur production aux chefs et aux grossistes. Directement dans le coffre de la voiture après les avoir pesées sur des balances précises au milligramme. Ils repartent ensuite avec leurs emplettes dans de vulgaires sacs plastiques, froissés, couverts de traces de boue et marqués "Leclerc", "Carrefour" ou "Intermarché", dans lesquels se baladent de véritables fortunes.

Car la truffe au kilo est chère. Entre 900 et 1400 euros le kilo. Mais si en janvier, elle est à son apogée, c'est aussi le moment où elle offre le meilleur rapport qualité-prix. Et comme il n'en faut pas beaucoup (voir ici  l'avis d'Edouard, trufficulteur du Périgord, tous sont d'accord avec lui...) pour parfumer quantités de plats, c'est aussi l'occasion de s'en procurer.

Plus belle qu'en début de saison, quand la production est réservée à la conserve et part dans les saucissons et autres foies gras et pâtés truffés que les industriels en profitent pour les vendre le double que quand ils sont nature. Et bien moins coûteuse qu'au moment des fêtes où elle n'est pas encore à son pic d'abondance, mais où la demande est forte.

Une quête ni sonnante, ni trébuchante

C'est donc quand se tient la messe de la Saint Antoine à Richerenches, le 3ème dimanche de janvier qu'elle est juste parfaite. Il n'y a pas assez de place dans la petite église pour contenir tout le monde, mais chacun y va de son obole en déposant une truffe dans la sébile.

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Elles sont ensuite vendues aux enchères et c'est le curé qui ramasse le tapis de la vente de la rabasse comme on appelle la truffe en son terroir. Un moyen comme un autre de la payer plus cher, mais en même temps, comme dirait Lino Ventura dans Les Tontons Flingueurs, "Si c'est pour une œuvre...". Cela justifie beaucoup de choses.

Le bon père qui a la charge de toutes les églises de l'Enclave des Papes, c'est à dire Visan, Valréas, Grillon et Richerenches doit être particulièrement bien vu dans l'au-delà pour pouvoir disposer d'un tel trésor. Mais, en même temps, il est installé dans cette sorte de "principauté" où les Papes s'étaient réfugiés au XIIIème et XIVème siècle. Un terroir forcément un peu béni des dieux.

Inutile de préciser que l'Escapade affiche complet ce jour-là. Tout le monde veut profiter de son menu truffes (dans les 70 EUR!). Les chefs étoilés tout comme les clients locaux et les touristes. Pour se consoler, il suffit de se dire que le menu truffes est disponible sur réservation pendant toute la saison, on peut donc s'y attabler les jours de moindre affluence pour mieux en profiter.

Les maison d'hôtes sont nombreuses dans la région. Il y en a à tous les carrefours et dans tous les villages dès que l'on quitte l'autoroute pour se diriger vers l'EnclaveOn laisse sur la gauche Grignan et son château (celui de la fille de Madame de Sévigné) qui est peut-être le village drômois le plus gâté en matière de bonnes tables.

En week-end dans la région, on peut faire des achats de vins, de miel, de produits de beauté bio comme chez Durance en Provence et, si l'on est venu par le train, il suffit de se remettre entre les mains de Sophie et Isabelle Charanssol qui ont monté Provence Rêverie, une petite entreprise de circuits touristiques sachant bien sûr que, les bonnes adresses, elles les connaissent toutes.


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Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, un séjour au pays de la truffe reste très accessible. Au Mas de l'Argellier  à Grillon ou encore aux Ecureuils  à Valréas dans la délicieuse maison de Chantal et Mike, entourée de son jardin et de sa piscine, où la nuit avec petit déjeuner n'est pas chère du tout (70 EUR). Chantal propose elle aussi des menus truffes et si sa brouillade et tous les plats qu'elle confectionne sont à la hauteur de ses confitures et de ses viennoiseries, on peut s'y rendre les yeux fermés.

Avec tous ces gens très actifs qui se sont regroupés au sein de l'association Truffe Emotion on découvre une région délicieuse. On va "caver" chez Christian et Gisèle Allègre au Domaine de Saint Alban et on se régale en suivant la brave Chouchou, le chien truffier dont le lien affectif avec son maître est un vrai bonheur à lui tout seul.

Dans cette maison du Bon Dieu, les chiens sont comme des coqs en pâte. Et il y a aussi l'âne récupéré chez des particuliers qui n'en voulaient plus et qui se met à braire pour réclamer des câlins et des caresses dès qu'il aperçoit du monde à la suite de Christian. C'est souvent et ça marche à tous les coups!

Cette région riche de bonnes choses et dont les habitants sont réellement adorables, généreux (et modestes, ce qui ne gâte rien), ne s'arrête pas de vivre quand la truffe cesse de pousser sous les chênes. Valréas et son Enclave vauclusienne a plus d'une corde touristique à son arc pour attirer les vacanciers. A commencer par le soleil dès les premiers jours du printemps, jusqu'à la fin de l'automne. Et les tarifs que l'on y pratique, alors que la truffe se négocie, elle, à prix d'or, sont on ne peut plus raisonnables.

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